Le canard à l’orange est un grand classique de la gastronomie française. L’immense restaurateur René Lasserre en fit le plat emblématique de son établissement parisien, après guerre. Cette recette savoureuse combine sauce sucrée, amertume apportée par l’orange bigarade et peau caramélisée du canard. Elle demande toutefois un peu de réflexion pour trouver le cru qui épousera la douceur de la sauce et s’opposera à l’amertume de l’orange. Pas si simple…

Un conseil : éliminez tout de suite les vins rouges de votre liste, ils ne feront jamais bon ménage avec la sauce à l’orange. Au contact des sucres, un rouge tannique est déstabilisé avant d’être foudroyé par l’amertume de l’orange bigarade.

Les liquoreux pour répondre à l’amertume

C’est avec des vins blancs moelleux ou liquoreux que vous réaliserez les plus belles associations sur le canard à l’orange. En particulier des vins d’un certain âge qui, évoluant, auront suffisamment mangé leurs sucres résiduels pour que leur douceur en bouche soit posée et que leur amertume ressorte. Avec le temps, l’évolution aromatique de certains de ces liquoreux se rapproche des saveurs d’agrumes confites que l’on retrouve dans le plat.

Avec le canard, soyons audacieux

Je vous emmène d’abord en Andalousie pour déguster un Jerez Oloroso de la Bodegas Tradicion. Cet Oloroso issu à 100% du cépage Palomino fino à aujourd’hui 45 ans d’âge. Son vieillissement long mené en pure oxydation lui confère une complexité incroyable, un beau rancio avec des arômes de fruits secs qui se mêlent à l’écorce d’agrume et au quinquina. Grâce à sa richesse et à sa puissance, la bouche enrobe parfaitement le canard, les 7 grammes de sucre résiduel du vin gèrent l’amertume de l’écorce de la bigarade.

Embarquons maintenant pour le Roussillon où j’ai choisi un vieux Muscat de Rivesaltes 1988 du Domaine Caze. Issu de muscat d’Alexandrie et de muscat à petits grains, le vin à la couleur ambre dévoile une palette aromatique sublime. L’écorce d’orange se fond ici avec une pointe de chlorophylle. C’est typique de l’évolution d’un muscat dans le temps. Les nuances de dattes, d’abricots secs, de verveine viennent en finale. La bouche n’impose plus la puissance d’un vin muté mais devient suave et équilibrée avec une incroyable gestion des sucres. Cette association avec le gras du canard et l’amertume de l’orange est exquise.

Enfin, cap sur le Bordelais, à Sauternes plus précisément. Bien souvent négligée aujourd’hui, cette appellation produit pourtant des vins sublimes, tel Château Suduiraut 1976, qui traversent sans sourciller les décennies. Le millésime 1976 fut caniculaire et la concentration du raisin, cette année-là, a été obtenue plus par passerillage sur souche que par l’action de la pourriture noble. Suduiraut 1976 affiche en 2017 une palette complexe avec ses notes envoutantes d’épices, de safran, de vanille, de fruits exotiques et d’abricots.

Quelle envergure et quelle classe ! Un accord de roi que René Lasserre aurait sans doute recommandé.

La revue du vin de France, nov 2018